Chambre à miracles ?

N'entre pas qui veut dans une chambre hyperbare. Les places sont peu nombreuses et le prix des séances est élevé.

par Mathieu-Robert Sauvé



Chambre hyperbare, antichambre des miracles ? Depuis deux ans, une véritable frénésie s'est emparée des adeptes de l'oxygénothérapie. Une simple recherche sur Internet permet de recenser pas moins de 466 articles scientifiques à ce sujet : en toxicologie, chirurgie, neurologie, orthopédie, traumatologie, anesthésiologie, kinésiologie... " Des études ont associé la chambre hyperbare au traitement d'une trentaine de maladies, du cancer à l'intoxication au monoxyde de carbone, en passant par le traitement du diabète et de la bactérie mangeuse de chair ", explique David Montgomery, spécialiste de la physiologie de l'exercice à l'Université McGill. Et ce ne serait que le début, croit-il.

En fait, depuis que les petits Mathieu et Michel Nadeau, atteints de paralysie cérébrale, ont séjourné dans la chambre hyperbare de l'Université McGill, le printemps dernier, les demandes affluent de toute la province pour avoir accès à l'oxygénothérapie. Seulement voilà : l'appareil, d'une valeur de 650 000 dollars, a été acquis en septembre 1997 par le Département de médecine sportive dans le but de mener des recherches sur l'activité physique, non pour offrir des soins à la population.

Au Québec, deux autres établissements possèdent une chambre hyperbare : l'Institut Maurice-Lamontagne de Rimouski, et l'Hôpital Sacré-Coeur de Montréal. À Sacré-Coeur, l'appareil est réservé aux personnes souffrant d'intoxication au monoxyde de carbone. Pendant la crise du verglas de janvier 1998, 30 personnes y ont été traitées.

Peu d'appareils et un grand nombre de candidats : pour le moment, les déçus doivent être nombreux.

L'oxygénothérapie consiste à augmenter la quantité d'oxygène dans les tissus en l'administrant à une pression supérieure à la pression athmosphérique normale. La chambre pressurisée (jusqu'à 2,5 atmosphères) permet de faire pénétrer de force les molécules d'oxygène dans le sang et les tissus, un peu comme une pompe comprime l'air dans un pneu.

Il s'agit d'un traitement relativement nouveau dans le monde sportif, mais qui intéresse bien des chercheurs. " Nous avons de bonnes raisons de croire que la chambre hyperbare est efficace dans le traitement de certaines blessures et dans le processus de récupération après un exercice intense ", précise David Montgomery.

Au moment du passage de Québec Science, une athlète soumise à un protocole de recherche lisait un magazine à l'intérieur du caisson cylindrique, d'une longueur de 2 mètres, qui affichait alors un taux de 95 % d'oxygène. L'étude prévoit que les volontaires - au total, une douzaine - doivent fournir un effort soutenu (90 minutes de course à pied en terrain accidenté) avant de pénétrer dans l'enceinte. Les chercheurs peuvent ainsi évaluer leur rapidité de récupération.

David Montgomery, qui est aussi conseiller du club de hockey Canadien en matière de conditionnement physique, affirme que l'utilisation de cette chambre à des fins sportives fait l'objet d'un engouement sans précédent. L'an dernier, les joueurs Stéphane Quintal, Patrice Brisebois, Vincent Damphousse et Brian Savage se sont succédés dans la chambre pressurisée. À lui seul, le défenseur Igor Ulanov l'a utilisé plus d'une vingtaine de fois. Même si les médecins de l'équipe lui prédisaient une longue période de réadaptation à la suite d'une blessure sérieuse, il a pu revenir au jeu avant la fin des séries éliminatoires grâce à des séances d'oxygénothérapie.

Les Red Wings de Détroit ont également utilisé fréquemment la chambre hyperbare lors de leurs deux dernières conquêtes de la Coupe Stanley. Les Canucks de Vancouver en sont aussi des adeptes convaincus.

On estime que les séjours en chambre hyperbare réduisent le temps de régénération des tissus lorsque l'athlète souffre de contusions ou de plaies non cicatrisées. Mais la recherche en médecine sportive, largement financée par les équipes professionnelles, est un secret relativement bien gardé. En fait, l'Université McGill serait l'une des premières à consigner rigoureusement ses recherches sur les effets de l'oxygénothérapie dans le domaine de l'activité physique.

Cette utilisation " sur le tas " peut paraître étonnante. Pourtant, même en ce qui concerne le traitement de la paralysie cérébrale, l'improvisation a, jusqu'à maintenant, toujours dominé. " Depuis 15 ans, des patients sont traités en chambre hyperbare pour différentes maladies, mais encore aujourd'hui, on ne possède pas de données formelles sur le plan médical ", déplore le physiatre Pierre Marois, de l'Hôpital Sainte-Justine.

En Angleterre, par exemple, on doit l'acquisition de caissons hyperbares à des groupes comme l'Association des personnes atteintes de sclérose en plaques. " Environ 1,2 million de traitements ont été administrés dans le monde sans qu'on n'ait pu s'appuyer sur des données formelles. On l'essaie, ça marche et on recommence. "

Pierre Marois a senti la nécessité d'entreprendre le premier projet de recherche sur le traitement de la paralysie cérébrale. Dans le cadre de ce projet, auquel il vient de mettre un terme, 25 enfants atteints de la maladie ont subi des traitements sur une période de six mois.

Les travaux du docteur Marois ont reçu une attention médiatique peu coutumière. Après la diffusion de quelques reportages sur le sujet à la Société Radio-Canada, une foule de 800 personnes intéressées par le traitement " miraculeux " s'est massée dans un auditorium afin d'en savoir plus. " Malheureusement, notre échantillonage était déjà complet ", rappelle le docteur Marois.

Depuis ces reportages, une centaine de patients ont pris le chemin de cliniques spécialisées à l'étranger. Les appels à la générosité se sont multipliés. À Québec, les parents du jeune Anthony Binet, qui souffre d'un retard mental dû à une encéphalite contractée à la naissance, ont lancé une campagne de financement pour amasser les 25 000 dollars nécessaires à un mois de traitement en Angleterre. À Montréal, la famille de Guillaume Boisvert-Goyette voulait obtenir 20 000 dollars dans le but de soigner des troubles dûs à sa prématurité. D'autres ont réclamé 10 000 dollars pour des traitements à Vancouver. " Je connais des familles qui ont hypothéqué leur maison pour financer des traitements ", dit le médecin.

Cependant, faut-il le rappeler, la thérapie doit encore faire ses preuves sur le plan scientifique. On se retrouve donc, paradoxalement, dans une situation curieuse, où la recherche fondamentale débute bien après l'application clinique...

(article paru en 1998 ...)

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